À la fois compositeur, bassiste improvisateur et plasticien, Frederick Galiay construit une œuvre entre musique contemporaine, électroacoustique et bruitiste, dans un contexte rock et électronique. Son œuvre Missing Time forme un « laboratoire en temps réel », où l’instrument est poussé dans ses ultimes retranchements entre infra-basses et crissements. La gestuelle instrumentale laisse alors entendre attaques, résonnances, transitoires, dans une expérience d’immersion totale. Missing Time fait également référence à la perte de mémoire relative aux victimes d’enlèvements d’humains à bord d’OVNI, autour de témoignages revenant de manière récurante chez les « abductés »…
Frederick Galiay solo from galiay frederick on Vimeo.
Chronique de l’album par Joël PAGIER, parue dans Improjazz juillet/août 2013
La basse est posée à même le sol, reliée à deux amplis en constante interaction grâce à un système de micros savamment disposés. A genoux devant l’instrument qui vibre déjà de toute sa profondeur, le bassiste inaugure le drame, engendre une situation dont il maitrise toutes les occurrences, du bruissement le plus ténu à l’apocalypse la moins contrôlable. Le processus créatif vient de naître au cœur de ce laboratoire horizontal dont émergent les premiers échos d’une œuvre ancrée dans le son, mais tendant vers une forme de beauté plastique.
Car s’il est surtout connu comme musicien au sein de Big, 69, Fogo, Chamæleo Vulgaris et tant d’autres formations encore, Frederick Galiay est d’abord un plasticien, peintre et vidéaste, pour qui la matière, visuelle ou sonore, résonne avant tout de fréquences poétiques. Le son ni l’image ne sont rien s’ils ne véhiculent en premier lieu les signes d’une présence au monde fondée sur l’émotion et la réceptivité permanentes. De là, et seulement de là, viennent toutes les manifestations du désir et cet incoercible besoin de les transformer en acte créatif, quel que soit le moyen par lequel on s’exprime.
Dans ce "Missing time" gravé en solitaire, Frederick Galiay use donc de la basse pour créer de la matière et, partant, engendrer une émotion qui, déjà, se traduit sur le plan physique. En effet, si l’instrument ne nous atteint pas directement au plexus solaire, comme c’est souvent le cas, les vibrations métalliques, les vrombissements et les déflagrations qui s’ensuivent influent immédiatement sur nos terminaisons nerveuses au point d’éveiller en nous les signes d’une hypersensibilité latente.
Frederick entame notre résistance pour mieux la percer et pénétrer au fond de nos entrailles, là où la virulence de ses fréquences et l’intensité de son attaque vont se livrer à un véritable travail de sape. La musique du bassiste s’inscrit dans une veine industrielle, mais le champ d’action de ses investigations demeure l’intimité de notre être vivant et les réactions purement automatiques de nos sens. Paradoxalement, cette stridence glacée de l’acier cisaillant nos viscères et nos réflexes n’induit ni révolte ni révulsion de notre part. La profondeur des résonances et le tranchant de ses traits déchirant notre système interne agit comme un anesthésiant qui soumet toute angoisse à la prépondérance du son et nous distrait soudain de tant de violence. Le musicien prend sur lui tout le poids de la responsabilité, nous libérant nous-mêmes de cette crainte omniprésente et nous laisse étrangement pacifiés, comme endormis au bord d’un gouffre où d’obscures machines douées de conscience se livrent une guerre sans merci. Spectateurs fascinés par le fracas du métal brisant la fragilité des nappes synthétiques, nous cédons malgré nous à l’emprise du vacarme et ne pouvons que constater l’intolérable beauté de la brutalité, comme si nous avions lâché prise avec la réalité, arrachés au monde sensible par quelque puissance inconnue…
... Selon les études publiées par les plus sérieux ufologues, toutes les personnes ayant témoigné d’un enlèvement par un Objet Volant Non Identifié ont en commun une perte de temps ("Missing time"), une période de quelques secondes à quelques jours, dont ils ne se souviennent plus et durant laquelle ils ont reçu des révélations pouvant aller jusqu’à la réponse aux plus grandes questions mystiques. C’est de ces révélations d’une autre dimension - qui ont toujours été livrées en huit phases - que Frederick Galiay a voulu rendre compte dans les huit plages de cet album, ainsi que de leur résonnance avec la fascination exercée par la musique obsessionnelle des cérémonies religieuses Bompö… Quelles que soient la véracité de ces témoignages et la perméabilité de chacun à de telles croyances, l’originalité du travail présenté ici par le bassiste justifie amplement l’effort de crédulité que l’on pourra fournir et l’innocence dont on pourra faire preuve afin de préserver la puissance poétique d’un tel sous-texte.
Solo @ Fylkingen, Stockholm - January 2014
Chronique de l’album par Romain Decoret parue dans Guitarist Magazine Mars 2013
Lorsqu’un bassiste aborde le difficile exercice qu’est une "symphonie" expérimentale électro-cosmique en huit mouvements, on se doit de considérer l’œuvre dans son contexte. D’abord la technique, qui est loin d’être habituelle. Une basse et deux amplificateurs, les cordes de la basse étant attaquées par divers moyens : archet, résonateur, slide métallique, et autres. Le signal est ensuite divisé en deux circuits indépendants qui sont modulés par l’instrumentiste et envoyés dans chacun des deux amplis. Le tout étant enregistré en hybride sur un huit-pistes analogique drivé par un ordinateur portable. Des sons de gong et divers saxophones sont également utilisés. Les différents mouvements qui composent cette techno- symphonie sont à évolution très progressive, presque silencieux au départ et atteignant lentement leur volume sonore définitif. L’œuvre elle-même peut rappeler Pierre Henry ou Metal Machine Music de Lou Reed. Vous êtes prévenu, il ne s’agit pas de pop music.
Chronique de l’album par Thierry Lepin parue dans Jazz news Avril 2013
Basse en tête et bien en mains, fortement pulsative de préférence, F. Galiay suit le fil de son instrument aux confins de l’improvisation collective ou via la musique électro-acoustique. Compagnon de route d’Edward Perraud ou Frédéric Blondy, entendu au sein de projets collectifs tels Chamæleo Vulgaris, Big ou 69, c’est le compositeut qui signe ce Missing Time, suite « pour soliste à la basse électrique en interaction avec un dispositif d’amplification et de diffusion », avec des interventions du saxophoniste Sylvain Cathala. Soit un laboratoire sonore où se dévelopent des textures sombres et insistantes, de soudaines brisures des cordes. La place de l’auditeur est en immersion, au cœur du processus.