Big, c’est grand !
Big, c’est "grand" ! C’est "gros" aussi. Le gros son de la basse et de la batterie. Énorme, comme les trados possibles. Ce soir certains se sont enfilé du coton dans les oreilles pour épargner leurs tympans. Les musiciens nous avaient prévenu, mais les boules Quiès atténuaient trop les timbres des cymbales et du métal.
Big, c’est "remarquable". Une énergie communicative qui électrise les uns et berce les autres.
Big, c’est "marquant" comme le Triton que l’ouvreur nous imprime sur le poignet. On se souviendra de ce duo diabolique qui nous emporte dans les extrêmes.
Big, c’est "fort". Deux virtuoses qui jouent au ping-pong avec les timbres de leurs instruments. Edward Perraud jongle avec ses baguettes, Frederick Galiay penché sur le manche fait glisser son archet.
Big, c’est "prétentieux". Parce qu’il faut être gonflés pour tenir tout un set dans la sueur avec cette précision de forçat. Mais quand on pète plus haut que son cul, suffit de mettre son cul à la hauteur du pet pour rétablir l’équilibre.
Big, c’est "ambitieux". Les propositions fortes le sont toujours. Ils en font parfois de drôles d’albums qui ressemblent à leurs performances.
Big, c’est "grand" !
Par Jean-Jacques Birgé - Mediapart
Apokálupsis
Gazul records - 2013 - Ref. GA8861
Old ocean
Häxa
Liwjatan
Lukanthropia
Erzulie
ki-sikil lil-là
Sjöfn
Riding a dead horse
durée totale 50’
Enregistré au studio Py Paris 2012 par Arnaud Pichard & Gilles Sohier
Mixé par Arnaud Pichard & Frederick Galiay
Mastering Marwan Danoun à Galaxy studios Belgique
photo couverture : Morgane Paoli & Frederick Galiay
photo intérieure : Edward Perraud
Artwork : Frederick Galiay
Graphisme : EDITh WEBer
Produit par Big
Extrait de Old Ocean sur les images empruntées au chef d’œuvre de Murnau.
Une basse et une batterie ! Non pas ce drum’n’bass qui évoque aussitôt l’électro, le clubbing ou le dub, mais des cordes et des peaux tendues sur des caisses et traitées à mains nues… Ou peu s’en faut ! Quelques baguettes ou balais, une tige de fer ou un résonateur… Si le précédent album de Big représentait l’aboutissement de longues heures de studio visant à magnifier cette pop à laquelle il devait son titre, "Apokálupsis" plante ses crocs dans l’épaisseur d’un groove aussi puissant que lourd et semble marquer un retour à la terre en tant que force d’attraction.
La première impression qui survienne, une fois admis l’absence de cette électronique sur laquelle les récents travaux d’Edward Perraud nous avaient pourtant alertés, concerne effectivement la pesanteur d’une musique littéralement tellurique, en prise directe avec le cœur magnétique du Monde. Ici, la glaise colle aux semelles ! La faible tension apparente des peaux, compensée par une frappe à la sécheresse caractérisée, limite la résonance des fûts et assombrit d’autant les nuances du rythme. Les cymbales renoncent à leur brillance pour un foisonnement ombrageux, annonciateur d’orage, et leur mouvement s’achève sur le mur électrique d’une basse puissante, solidement amarrée à son ampli dont les membranes vibrent dangereusement.
Frederick Galiay n’est pas un tendre ! La fulgurance de son cri heurte de plein fouet la masse ferraillant, la tord et la déchire en lambeaux acérés qui s’éparpillent dans l’atmosphère. Dans ce contexte à haute tension, la basse prend des airs de baryton manipulé par un de ces héros furieux que le free ou lerhythm’n’blues ont poussé sur le devant de la scène. La fonction prépondérante qu’elle assumait dans la construction du rythme se trouve détournée vers une forme d’expression totale dont ni la poésie, ni le tempo, ni l’harmonie ne sont exclus puisqu’ils participent, au contraire, à l’élaboration d’une entité abstraite que, faute de mieux, on nommera matière. Ainsi, les râles profonds arrachés aux graves et qui se mêlent aux roulements des toms vrombissant, les hurlements stridents étirés à l’archet qui découpent le cuivre et oblitèrent sa cadence ou ces larsens apokáluptiques vrillant la masse explosive des percussions ne visent qu’à la formation d’un matériau universel sans rôle spécifique dont les caractéristiques conviendraient aussi bien aux plasticiens qu’aux musiciens.
Malaxant cette glèbe, les deux hommes sculptent de sombres figures atmosphériques, totems emblématiques d’une modernité radicale dressés sur le bord d’une route aux multiples dangers. Les ornières sont nombreuses et les crevasses profondes dans cette terre que le soc de Frederick laboure obstinément pour qu’Edward y dépose ses graines de violence.
Régulièrement le sol tremble, secoué de spasmes organiques, ébranlé de fréquences dont les ondes résonnent encore longtemps après qu’elles se soient dissipées. Lorsqu’elle ne gronde pas, ni ne raye l’espace de stridences extrêmes, la basse entraîne les rouages d’une dramaturgie implacable totalement vouée au suspense. Les notes durent et se tordent, hantent le silence à venir, ourdissent de sombres complots contre l’état de quiétude. Au bord de la saturation, l’instrument brosse des paysages post-industriels et désertiques où s’interposent les édifices érigés par les tambours expressionnistes du batteur : murs de ferraille élevés à grands coups de cymbales, tours alimentées par les roulements compulsifs usant les peaux tendues, fortifications imprenables ancrées dans la rigueur du tempo et la puissance de la frappe.
Ni rock, ni jazz, ni électro, mais un peu de tout cela pourtant, ce drum’n’bass exclusivement acoustique - si l’on considère l’électricité comme inhérente au son de Fred Galiay - participe surtout d’une forme d’ambient à l’exact opposé de la musique d’ambiance. A moins, bien sûr, que vous n’affectionniez les soirées infernales frappées du sceau de l’horrifique, que David Lynch et Roger Corman ne soient vos cinéastes préférés et que vous ne puissiez pas vous endormir sans avoir dévoré cinquante pages de Phillip K. Dick, Bret Easton Ellis ou Maurice G. Dantec…
Joël PAGIER - Improjazz juillet/août 2013
Chronique du concert au 104 à Paris le 6/06/13 au festival Présences électronique :
... Le lendemain, dans la Nef Curial, on pouvait aussi apprécier le duo BIG, formé depuis une quinzaine d’années par le bassiste Frederick Galiay et le batteur Edward Perraud, mais les deux musiciens ne se laissent pas réduire à ces deux seuls instruments - en effet on a affaire ici à une sorte de symbiose qui englobe de nombreuses pratiques musicales, notamment le jazz le plus expérimental, le rock le plus progressif, et l’ensemble des champs des musiques électroniques.
Il y a dans cette rencontre une formidable énergie créatrice, qui dépasse les clivages et s’impose de manière très radicale, comme on peut en juger avec cette pièce, "Apokalupsis", qui rappelle l’étymologie de ce terme grec signifiant "dévoilement" ou "révélation", et qui coïncide avec la parution en mars dernier du nouvel album de ce duo précisément intitulé "Apokalupsis".
Les Lundis de la contemporaine d’Arnaud Merlin - France Musique
Chronique du concert à la Dynamo de Banlieues bleues 29/06/13 :
L’effondrement brutal d’une partie de la banquise dans l’océan Arctique est ce qui me semble le plus proche phénomène terrestre évocable après l’audition des ces deux météores que sont Edward & Frederick ! ..
Deux phénomènes sismiques à l’état brut :
Ca commence à fond, ça continue pire ... ça finit encore pire ! ! ...
Avec qd même quelques nuances sentimentales dans l’intervalle du double bang ! ! ...
D’abord, Edward plane un temps, survolant ses fûts tel Fantomas au dessus de Paris dans la fameuse illustration ...
Et soudain le crime frappe des deux bras à la fois déclenchant la basse de Galiay ...
A partir de là : "Only bullets can stop ’em" ! ...
Créant une pulsation qui ne faiblira jamais, laissant sourdre comme une compression lithosphèrique quelques jets transperçants le rythme, une démence créatrice exacerbée par les éclats de cymbales dévore le tempo massacrant tout sur son passage ...
Sont-ce Minos et Rhadamanthe ces officiants hallucinés d’un jugement de l’au-delà ?
Frederick a lâché sa meute, plus inquiétant encore que "la nuit du chasseur" plus corrosif que Simak, pris de frénésie ainsi que l’infortuné Erich Zann, il zèbre l’enfer ainsi créé de Perraud de rafales cataclysmiques, de fulgurances Siteriennes ! ...
A tour de doigts les notes sont griffées, arrachées, ponctuées, érodées ...
Surmultipliées sous le traitement des pédales, éclosent les nappes, fusionnent les fréquences et les intervalles ... Tandis qu’hurlant ses cymbales, l’âme d’Edward décomposée au prisme des flaques de cuivre s’échoue en gerbes-lames et de larmes mêlées ...
Pris de musique, empêtrés dans l’ébrouement innommable de cette avalanche hypersonique, nous sommes catapultés de nos sièges exsangues sous l’empire de cette centrifugation folle ...
Je viens juste de perdre un œil quand soudain le son disparaît !
Le vide, total et sidéral jaillit , c’est comme si un trou noir se retournait d’un coup, émergeant du néant ...
Une clameur d’outre tombe grince dans mon dos, libérés de l’Hadès par l’offrande du son, les spectateurs se lèvent et entament les Anthéstéries ...
Claude Parle
... Vint s’installer alors dans la salle de concert habituelle de La Dynamo de Banlieues Bleues, le duo de drum & bass mutant BIG composé depuis plus de 15 ans maintenant d’Edward Perraud et de Frererick Galiay. Leur set, très court, très dense, eut l’intensité onirique d’une poussée de fièvre qu’on aimerait ne jamais voir finir tant elle libère le corps et l’esprit de sa pesanteur par sa décharge d’énergie…
Totalement improvisé, constamment lyrique même dans les moments les plus abstraits et expérimentaux cette manière d’ambient hardcore agit sur l’âme comme une catharsis…
Stéphane ollivier - Jazzmagazine